• Ce qu'est la pastorale souletine

    La pastorale basque est le théâtre traditionnel du Pays de Soule. Elle appartient essentiellement au genre épique : son caractère fondamental est de conter une épopée. 

    Théâtre de plein air et amateur, la pastorale rassemble chaque année la population d'un village ou d'un petit groupe de villages.

    Autant qu’une pièce de théâtre, c’est une grande fête villageoise.

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L'aspect des manuscrits de pastorales

L'aspect des manuscrits de pastorales

 

Présentation

La plupart des manuscrits se présentent sous la forme de fascicules ou cahiers, c’est-à-dire de feuilles doubles, pliées ensemble, et grossièrement cousues de fil. Pour les formats les plus petits, les fascicules sont regroupés et brochés. Le papier le plus ancien est assez épais, et lorsque les manuscrits ont été conservés dans leur entièreté, ils sont lisibles bien qu'écrits sur les deux faces de chaque feuille.

Le plus souvent le papier est utilisé dans sa totalité, c'est-à-dire en recto-verso et sans aucune marge. Dans le cas le plus commun, sur chaque feuillet figurent deux colonnes de versets (bertset en basque dans le lexique des pastoraliers) écrits généralement sous forme de strophes de quatre lignes avec assonance sur la deuxième et la quatrième, rarement sur deux lignes, en distiques (de rares manuscrits associent les deux modes de disposition). Les strophes sont séparées par un simple trait, et le texte est donc continu. Les vers ne sont pas mesurés et chaque ligne de verset peut être longue (jusqu'à 15 syllabes) ou courte (5 syllabes).

Alexandre ou les quarante martyrs de Sébaste - MBHB, Ms9

 

La seule contrainte formelle était donc l'assonance sur les deux lignes paires des versets. Cette irrégularité dans la mesure n'était pas la conséquence de quelque maladresse, mais inhérente au genre dans la tradition. La disposition en versets correspondait au mode de déclamation, lequel, comme on le sait, est fixe et suit un patron constitué de quatre périodes musicales, avec un patron pour la pastorale proprement dite, et deux autres, distincts, pour les prologues et les anges.

La syntaxe des textes se conformait à cette structure, ce qui était une obligation eu égard à l'effort demandé aux acteurs, comme aux spectateurs. Aussi, bien que les textes de pastorales anciennes ne fussent pas ponctués, et qu'ils fussent chantés suivant une même mélodie, cela ne créait pas de difficultés particulières quant à leur leur mémorisation ou leur compréhension.

 

Didascalies

Il arrive que dans certains des manuscrits les plus anciens, les indications scéniques soient écrites en rouge, suivant en cela le vieil usage des rubriques connu en Europe dans les écrits anciens. C'est le cas du manuscrit de Bassagaix, ou de la pastorale de La destruction de Jérusalem. En raison des mauvaises conditions de conservation, il n'est pas rare que les bords des feuilles des cahiers soient endommagés, et il est également fréquent que l'absence de véritable reliure ait eu pour conséquence la perte de feuilles en début ou en fin de cahier. Ceci est important, car dans nombre de cas, les manuscrits qui nous sont parvenus et auxquels il manque, en partie ou dans sa totalité, la dernière feuille, ne peuvent être datés avec précision, puisque la mention indiquant la date et le lieu de la représentation, et le nom du régent, figurait généralement dans cette page.

La reproduction d'une demi-page du cahier de la pastorale de Saint Julien de la copie de Bordeaux, datée de 1770, illustre le mode de disposition habituel.

Manuscrit Saint-Julien, Bibliothèque Municipale de Bordeaux Ms.1695_3

 

En observant, le document nous pouvons voir, en haut à gauche et en bas à droite, que les indications de jeu, les didascalies, sont insérées entre les versets. Elles ont en partie codifiées, et le plus souvent exprimées par un radical verbal, jamais conjugué.

Les entrées et sorties sur scène des personnages sont toujours indiquées par les verbes jalki (le personnage 'sort' sur la scène, c'est-à-dire qu'il apparaît sur les planches en venant de derrière la scène par la porte du camp, turc ou chrétien, auquel il se rattache) et erretira (le personnage se retire de la scène, autrement dit, il la quitte).

La prise de parole est indiquée par le verbe mintza, parfois abrégé en Ma. Le mouvement des acteurs sur scène par le verbe paseia et leur arrêt par le verbe bara.

L'intervention de la musique par l'emploi du nom sonu (parfois du verbe sona), les batailles par bataila.

Dans l'extrait du manuscrit de Saint Julien, on peut lire au début : "Julien jalky / Belharica eta minca", ce qui indique que Julien doit entrer en sur scène, s'agenouiller, et déclamer les versets qui viennent à la suite. A la fin de l'extrait, il est indiqué : "retira / Julus Justina eta Julien jalky / Justina minca". Cela signifie que Julien, alors seul sur scène, se retire, puis qu'il entre à nouveau en scène, en compagnie de Julus et Justina, puis que Justina parle.

Pour les batailles, qui sont, comme on le sait, l'objet d'un jeu de représentation codifié lorsque l'histoire contée les rend nécessaires, on fait suivre, dans la didascalie, bataila du nom du camp des vaincus avec un suffixe de mouvement.

Dans l'extrait du manuscrit de Charlemagne (Médiathèque de Bayonne), Batailla türkietarat signifie que le mouvement des combattants s'engagera et se terminera du côté turc, ces derniers étant vaincus.

Manuscrit Charlemagne, Médiathèque de Bayonne Ms.47

 

Les indications scéniques des vieux cahiers montrent également que l'espace scénique pouvait inclure l'avant-scène, qui était libre, sans siège réservé aux spectateurs. Cet espace était utilisé en particulier pour les arrivées à cheval précédant généralement des scènes de siège militaire ou de bataille.

 

 
 

Les didascalies extraites de la pastorale de La destruction de Jérusalem (Médiathèque de Bayonne) illustrent de tels jeux :

La première didascalie annonce l'arrivée à cheval d'un roi et de son armée pour intervenir dans une bataille :

"ordian eman bataillabat / handiric eta berdemboran / Volages Erregue heltzenda / triate aitciniala eta oro camariz / Bestic bara. Minça Volages"

[On donne alors une grande bataille et en même temps le roi Volages arrive devant la scène, tous à cheval; les autres s'arrêtent. Volages parle]. L'intervention du roi à cette arrivée se fait donc depuis le bas de la scène, le roi étant à cheval.

La seconde didascalie indique ensuite que le roi Volages va prendre part à la bataille sur la scène au côté de son allié, Vespasien :

"ordin eraix camariti orain / eta sar triatin eta jar / Vespasienen herr[o]can / eta minc[a] Volages"

[Il descend maintenant de cheval / et il entre sur la scène dans le rang de Vespasien; et il parle]. Observons, que pour indiquer l'entrée sur scène par le petit escalier devant la scène (et non par le tapis de l'arrière de la scène), le verbe utilisé dans la didascalie n'est pas jalki ('sortir'), comme pour les entrées en scène habituelles, mais sar ('entrer').

 

La Destruction de Jerusalem

 

Prologues et Epilogues

Les représentations des pastorales sont introduites par un mouvement de scène particulier déclamé sur un air spécifique, au cours duquel, on présente leur sujet et leur trame. On y met fin, ensuite, de manière symétrique. Dans les manuscrits, ces morceaux, appelées en français premier prologue et dernier prologue (conclusion aussi, parfois) et en basque lehen pheredikia (certaines fois entrada) et azken pheredikia (quelquefois konklusionia), sont disposées séparément.

Ces prologues et épilogues ne sont pas considérés comme faisant à proprement parler de la pastorale, et sont souvent regroupés dans les cahiers à la fin du cahier, avec un comptage des versets à part.

C'est le cas dans le manuscrit de la pastorale de saint Louis (Médiathèque de Bayonne, cahier de JP Saffores), où prologue et épilogue viennent après que le mot 'fin' ait été mis à l'achèvement de la pastorale proprement dite.

Manuscrit Saint-Louis, Médiathèque de Bayonne Ms.50

 

Personnages

Sur beaucoup de manuscrits apparaît également une liste des rôles, fréquemment accompagnée du nombre de versets qui correspondent à chaque rôle. Parfois, ce listage, qui doit tenir compte des acteurs ayant plusieurs rôles, s'effectue en même temps que l'on indique les compagnies ou rangs, c’est-à-dire les groupes, qui entreront en scène successivement.

C'est le cas dans le manuscrit de la pastorale de Clovis (janvier 1770, [Abense?]-de-Bas) qui est prévue pour 22 acteurs sans compter les anges. L'indication illustrant cet usage et qui figure en tête de cette page est la suivante : " Les Compagnies ou Il Seront aussy marqués les doubles emplois sont cy Bas només Et joint avec leurs autres parties ".

Manuscrit Clovis, Bibliothèque Municipale de Bordeaux Ms.1695_3

B. Oyharçabal

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Ce que nous apprennent les manuscrits

Ce que nous apprennent les manuscrits

 

Les manuscrits de pastorales anciennes, autrement dit des pastorales antérieures au XXème siècle, représentent un bien patrimonial de grande valeur ; ceci à un double titre : d'une part, sur le plan linguistique, parce qu'ils constituent un corpus de textes basques, en dialecte souletin, d'une grande richesse ; d'autre part, sur le plan littéraire, parce qu'ils nous permettent de connaître le passé d'un théâtre populaire en langue basque, qui perdure en ce début de XXIème siècle, sous une forme évidemment renouvelée.

Sans cette documentation, sauvée surtout grâce à l'action de quelques érudits à la fin du XIXème siècle ou au début du XXème, nous ne saurions que fort peu de choses de l'ancien répertoire. Ces manuscrits sont, en effet, la principale source d'information que nous ayons relativement au passé de ce théâtre.

Les plus anciens qui nous soient parvenus remontent au milieu du XVIIIème siècle, et ce n'est à partir du milieu du XIXème siècle que nous commençons à avoir les premières descriptions de représentations. Et c'est encore un peu plus tard, à partir du début du XXème siècle, que la connaissance relative à ce théâtre progresse considérablement, grâce surtout aux travaux d'un professeur de philosophie, d'origine champenoise, ayant fini sa carrière au lycée de Bayonne, George Hérelle.

 

Mentions de représentations

Les manuscrits de pastorales, appelés usuellement cahiers, nous permettent de saisir la nature profonde de ce théâtre populaire. Sous leur forme complète, ils offrent dans leur partie finale une mention rédigée généralement en français, (un français quelque peu approximatif dans bien des cas), grâce à laquelle on est en mesure de savoir quand, et souvent où, a été représentée cette pastorale, et qui fut le régent, également copiste.

Un exemple de ces mentions est rapporté ici ; elle figure à la fin de la copie de la pastorale de Jean de Paris du Musée Basque, et indique : "A Larrau le 25 juin 1760, yl a esté joué la presante pastouralle, fait la presante coppie par moy, Pierre d’Arhex, cordonier ".

 
Manuscrit Jean de Paris, Musée Basque et de l'Histoire de Bayonne Ms.19    

C'est principalement grâce à ces mentions que l'on a été en mesure d'identifier une soixantaine de régents jusqu'au XXème siècle. Ceux-ci indiquant parfois leur métier, ainsi qu'on le voit dans le cas du manuscrit d'Arhex montré en illustration, nous pouvons alors connaître leur état. C'est ainsi que l'on peut observer qu'ils étaient de condition modeste et qu'ils n'étaient pas, sauf exceptions (trois cas attestés), enseignants, malgré le nom de régent qui leur est donné à partir du XIXème siècle (le mot basque est errejent, vocable qui résulte de la basquisation de régent ; ce dernier terme est attesté dès le 18ème siècle dans le contexte des pastorales, et il désigne également l'instituteur d'école).

Certaines fois, les régents agrémentent leur copie d'une observation, d'un type très répandu dans la littérature populaire, pour le cas où le cahier se perdrait. Ils le font alors toujours en français, et non sans humour, se qualifiant volontiers de brave ou bon garçon. Voici par exemple ce qu'indique J-P Saffores dans la copie de la pastorale d'Astyage qu'il fit représenter en 1836, en manière d'autoportrait :

Manuscrit Astyage, Médiathèque de Bayonne Ms.15

"[Si] Ce Cayer vient a perdre / le quelqu'un trouver; jl aura

la bonte de rendre au Sieur / J Pre Saffores cordonnier de tardets

qui est un brave homme reconnu / par tout son pays et un homme

comme il faut pour manger / quelque tranche de jambon et

les eufs frigit dans la poile / pendant tout le temps de l'année

a la place de chardines ".

 

Le régent

Les manuscrits permettent aussi de comprendre que, dans cette tradition, la figure de l'auteur, au sens moderne du terme, est absente : il n'y a que des régents, qui fournissaient également les textes, car cela représentait l'une de leurs tâches principales. Ils établissaient les copies correspondant aux représentations, en utilisant des copies antérieures qu'ils avaient achetées, ou dont ils avaient hérité, ou bien en adaptant eux-mêmes en basque des histoires rencontrées dans la littérature populaire, en langue française en général, et, selon G. Hérelle, espagnole aussi parfois.

Au XIXème siècle, en suivant ce procédé, des thèmes correspondant à l'histoire contemporaine, ou proche, ont été adaptés ; ainsi, plusieurs pastorales ont eu pour sujet l'empereur Napoléon. Lorsqu'un régent adaptait ces histoires pour composer des pastorales souletines, il agissait certes comme un auteur à nos yeux, mais cette notion ne faisant pas partie de la tradition en ce temps, ces textes pouvaient être acquis par d'autres, et ensuite librement transformés. Aussi, dans le cas général portant sur le répertoire ancien, il n'est pas possible de déterminer à la vue du seul manuscrit et de ses indications, s'il s'agit ou non d'une copie plus ou moins recomposée, ou d'un texte premier dans le cadre des pastorales souletines.

Dans la mention du manuscrit de la pastorale représentée à Larrau en 1760, le régent précise, d'une part, quand et où la pastorale a été jouée et, d'autre part, que lui-même en a fait la copie. Le plus souvent, les choses ne sont pas aussi clairement distinguées : les mentions font apparaître une date - c'est alors la date d'une représentation -, et un nom indiquant que ce régent signataire a fait, copié, composé, voire traduit la pastorale, ou qu'elle lui appartient.

Mais il convient de ne pas toujours s'arrêter ou se restreindre au sens strict de ces verbes, car ordinairement, la même personne est le régent, le copiste et le propriétaire du cahier utilisé pour la représentation donné à la date et, souvent aussi, au lieu indiqués. 

Manuscrit Charlemagne, Médiathèque de Bayonne, 1854. Ms.47

Par exemple, lorsque J-P. Saffores indique à la fin de la copie du manuscrit de Charlemagne (Médiathèque de Bayonne) : "La piece appartient à Jn Pre Saffores ainé de Tardets, le 13 avril 1854 ", il n'est pas possible de savoir le lien exact de l'auteur avec ce texte. Ce n'est que par la comparaison avec d'autres manuscrits, que l'on pourra savoir qu'il en fut le copiste, et que le texte avait été pour l'essentiel établi par ailleurs, puisqu'un autre manuscrit, plus ancien, écrit par un autre main, existe, qui correspondant à une représentation ayant eu lieu à Esquiule en 1834 (manuscrit de la Bibliothèque nationale de France).

Le copiste de ce dernier cahier faisait, quant à lui, apparaître la mention suivante : "Cete piece jl est composse par Bassagaix de Esquiule le 22 maye 1835, sa sera le Dernie piéce, je traduit 20 pieces". Malgré l'emploi ici du verbe composer, la date indiquée doit certainement être interprétée suivant l'usage, comme renvoyant à la date de la représentation, et non à la fin de la rédaction de la copie. De même, on ne peut conclure de cette indication que le texte de cette pastorale avait été réellement composé par Bassagaix (que Saffores aurait ensuite repris). En effet, un examen des deux textes montre que les deux copies ont eu très probablement, de façon directe ou indirecte, une source ou des tierces. On remarquera, par ailleurs, l'emploi de verbe traduire dans la mention de Bassagaix (" j'ai traduit vingt pièces ") : on pourrait penser que ce régent veut signifier par ce verbe qu'il a transposé en autant de pastorales souletines une vingtaine de récits écrits en français, mais il est probable qu'en réalité, il voulait simplement indiquer qu'il avait été le régent d'une vingtaine de pastorales, dont il lui avait fallu établir le texte et transposer en tableaux scéniques, que tout cela fut pour l'essentiel copié, comme certainement dans le cas de la pastorale de Charlemagne, ou pas.

L'absence de toute notion d'auteur, s'accompagne de toute idée de texte authentique, ou premier. Les textes des pastorales étaient établis pour être joués dans des conditions données, et ils pouvaient être, en fonction des circonstances, librement tronqués, augmentés, modifiés, mélangés à partir de plusieurs sources, être l'objet de toutes sortes de modifications, sans que le régent-copiste ait à se justifier de quoi que ce soit, à l'égard de quiconque. C'est la raison pour laquelle on trouve des pastorales dont le nombre de versets varie considérablement selon les copies, et surtout des manuscrits hétérogènes,  témoignant de fortes contaminations textuelles, c'est-à-dire associant dans une même pastorale des fragments de pastorales différentes, n'ayant le plus souvent rien à voir entre elles, ni quant au sujet, ni quant à l'époque, ni même parfois quant au genre, lorsque des farces sont incluent au sein de tragédies.

B. Oyharçabal

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Les pastorales de femmes

Les pastorales de femmes

 

Les manuscrits de pastorales sont de précieux témoins de l'ancienne forme des pastorales basques. Ils nous permettent d'en savoir plus sur ce vieux théâtre populaire. Une des caractéristiques majeures de la pastorale ancienne réside dans le genre : les pastorales ont longtemps été jouées uniquement par des hommes ou uniquement par des femmes, la règle étant, comme écrit Albert Léon, « de ne jamais mélanger les sexes sur scène ».

Certains manuscrits portent clairement la mention faisant allusion à la non mixité des acteurs de la pièce :

Geneviève de Brabant, Médiathèque de Bayonne, Ms11

« Cette pièce a été représenté [sic] le 7 juin 1849 par l[es] Mademoiselles de Mauleon »

 

Rappelons que dans le passé ce théâtre était réservé aux hommes, comme dans les autres pays européens. Mais ici, dans un contexte rural, la tradition machiste a duré plus longtemps que chez nos grands voisins de France et d’Espagne. Des femmes ont participé pour la première fois à un chœur de pastorale masculine en 1976, dans la pièce Santa Grazi du Père Junes Casenave, jouée par son village de Sainte Engrâce. Puis en 1980, elles ont eu accès aux rôles féminins dans la pièce Iparragirre, écrite par le poète de Troisvilles Pierre Bordaçarre / Etxahun-Iruri et jouée par le village d’Ordiarp.

Notons cependant que, de temps en temps, les femmes seules jouaient une pastorale dédiée à une reine ou à une sainte. Elle ne bénéficiait évidemment pas d’un prestige comparable à celui de la pastorale masculine, qui était évidemment la pastorale par antonomase, essence et définition, le masculin étant non moins évidemment l’expression de l’universel, reléguant le féminin dans le particulier et le privé.

Ce temps est heureusement révolu. Un handicap subsiste cependant du fait de l’héritage historique : une relative difficulté à trouver de grands rôles féminins. En effet jusqu’à une date récente et sauf exceptions notables, les femmes restaient exclues de la vie publique : dans la République Française, elles n’ont gagné le droit de vote qu’à l’automne 1944, après la libération du territoire, par une ordonnance du chef du gouvernement provisoire Charles de Gaulle. Certes les auteurs et les metteurs en scène s’appliquent à leur donner de beaux seconds rôles, mais ce n’est qu’à demi satisfaisant. Avec un peu d’audace, en cherchant bien, l’on trouvera bien quelques héroïnes dignes d’êtres portées au premier rang. Sur ce point les anciens faisaient mieux que nous, en célébrant de belles figures de reines ou de saintes comme Jeanne d’Arc, jouées il est vrai par de jeunes hommes peu barbus. Une exception à souligner : la pièce Madalena de Jauréguiberry, écrite par Pierre-Paul Berçaits et jouée en l’an 2000 par le village d’Esquiule. Honneur à eux !

 

Le 18ème et 19ème siècle

 

Le personnage de Jeanne d'Arc, Ossas, 1910. M. de Bayonne. Ms112

La première mention de pastorale de femmes est faite par Georges Hérelle (historien spécialiste des pastorales, 1848-1935) : en 1796, l'administration centrale aurait interdit une représentation prévue à Licq.

La première représentation aboutie aurait été celle de Sainte-Engrâce, jouée à Licq en 1831. Cette même pastorale est jouée à Aroue en 1835. Une autre pièce souvent représentée par des femmes est celle de Geneviève de Brabant. Les filles de Mauléon la jouent le 7 juin 1849 à Mauléon et elle est également jouée à Uhart-Mixe en 1863 (année incertaine), ainsi qu'à Montory en 1878. Enfin, autre sujet de représentation très répandu, Hélène de Constantinople ou Sainte-Hélène est représentée à Viodos en 1850 et 1870, à Sauguis en 1874, à Uhart-Cize en 1875 et à Garindein en 1874. Ainsi une dizaine de représentations auraient été jouées par des femmes au 19ème siècle.

La pastorale de femmes ne semblait pas jouir du même prestige que celle des hommes. Nous ne connaissons pas le nombre exact de représentations jouées par des femmes, mais elles étaient beaucoup moins nombreuses que celles données par des hommes. Il est d'autant plus difficile de connaître leur quantité, que de nombreux sujets féminins étaient interprétés par des hommes. C'est systématiquement le cas avec Jeanne d'Arc. En 1834, les jeunes hommes de Gotein jouent aussi Hélène de Constantinople et ceux de Tardets font de même en 1840. Pour la représentation de Sainte Marguerite en mai 1818 à Larribar et en 1825 à Espès, les acteurs semblent également tous être des hommes.

Lire le témoignage de Jean-François Samazeuilh sur la pastorale Sainte Hélène jouée par des filles à Abense en 1850. Voyageur dans les Pyrénées, il publie Voyage de Bayonne aux Eaux-Chaudes, en passant par la Basse-Navarre et la Soule en 1858.

 

Le 20ème siècle

 

La première représentation de femmes du 20ème siècle – il  existe encore bon nombre de souvenirs sur cette pastorale dans la mémoire orale – est celle de Sainte Marguerite, jouée en 1905 à Aussurucq. Elle est jouée le lundi de Pentecôte.

Quelques années plus tard en 1909, Ordiarp joue Sainte-Hélène dans une ambiance assez désastreuse. En effet, le village joue la même année trois pastorales, du fait de la mésentente entre villageois ! On organise d'abord Roland pour le lundi de Pâques, mais le curé tente de faire échouer la représentation. Il n'y parvient pas et organise la représentation d'Abraham avec ses partisans. Mais, le maire ne donnant pas la permission de la jouer sur le théâtre déjà construit, ni dans un lieu public, ils construisent une nouvelle scène dans une propriété privée et jouent Abraham le 31 mai 1909. Les filles de leur côté, et en accord avec le maire, décident de jouer Sainte-Hélène sur le théâtre construit près de l'église. Pour contrer cette représentation, le même jour, les partisans du curé rejouent Abraham sur leur scène, mais n'attirent que très peu de monde !

La représentation de Sainte-Hélène se fait dans des conditions météorologiques très difficiles. Léopold Irigaray, fidèle informateur souletin de Hérelle, rapporte dans sa correspondance que la pluie ne cesse de tomber avant et pendant la représentation et que de ce fait, vers 15h30, une partie des gradins s’effondre causant de graves dommages (un mort et plusieurs blessés).

         
Pastorale Sainte-Hélène, Ordiarp, 1909 - Médiathèque de Bayonne. Ms112   Billet d'entrée pour la pastorale Sainte-Hélène - Médiathèque de Bayonne. Ms112

 

Les mêmes filles d'Ordiarp rejouent Sainte-Hélène à Mauléon le dimanche 17 octobre 1909. Irigaray écrit qu'il s'agit d'une représentation « au profit des blessés, de leur catastrophe. ». La représentation a lieu au trinquet, sous la direction de Jean Héguiaphal. Georges Hérelle, présent le jour de la représentation, rapporte dans ses archives qu'il s'agit d'une troupe uniquement constituée de femmes sauf « les rôles des satans, et dans les cas particuliers, ceux du lion et du loup qui doivent enlever les enfants d'Hélène » Pour le reste, « les autres personnages, rois chrétiens ou Turcs, soldats chrétiens ou Turcs, courrier... etc sont des filles ».

Pastorale Sainte Hélène, Chéraute, 1908. Médiathèque de Bayonne - Ms112

Ainsi,  les femmes jouent également des rôles d'hommes. Elles ne semblent pas déguisées en hommes pour autant : toutes les femmes sont en robe. Hérelle écrit d'ailleurs que « [les] filles tenant les rôles masculins sont toutes habillées en robes, mais les robes sont courtes, descendant à peine plus bas que le genre, [et, les] filles faisant des rôles de femmes [...] ont toutes des robes longues descendant jusqu'à terre ».

L'année précédente, en 1908, Chéraute joue également Sainte-Hélène en son village, le premier dimanche de Pâques. La particularité de cette représentation réside dans la mixité des acteurs: les rôles des Turcs, de l'évêque, de l'ange et du pape auraient été tenus par des hommes, ainsi que l'atteste une photographie.

 

 

Une entorse aux usages

 

Des représentations dérogent en effet à la règle : des hommes et des femmes jouent parfois ensemble sur scène. Dans Causeries sur le Pays Basque, Mme Charles d'Abbadie d'Arrast écrit : « On joua sur la place d'Uhart Cize près de Saint-Jean-Pied, Geneviève de Brabant : il y avait ensemble des hommes et des femmes ».De son côté, Hérelle écrit qu'en 1868 à Licq, une fille joue le rôle de Satane. Il rapporte également que pendant la période révolutionnaire Clovis aurait été joué par des hommes et des femmes, ainsi que l'atteste la mention manuscrite du bas du cahier : « lundi 30 mai 1799, ont joué cette pièce, par les citoyens et citoyennes ci bas nommés ». Ces participations féminines semblent tout de même relever de l'exception.

La mixité des acteurs de pastorales ne verra vraiment le jour que dans les années 1980. C'est alors que les femmes commencent à intégrer les pastorales d'hommes. En 1976, dans la pastorale Santa Grazi du Père Junes Casenave, elles intègrent le chœur de la pastorale pour la première fois, et en 1980 elles jouent les rôles de femmes dans la pastorale Iparagirre à Ordiarp.

 

La pastorale de femmes ne disparaît pas

 

Pour autant, la tradition des pastorales constituées uniquement de filles ne se perd pas. En 1953, plus de quarante ans après, les filles de Licq redonnent une pastorale de femmes en leur village, avec pour süjet Sainte-Hélène, et pour protagoniste Gracieuse Aguer. En 1979, une autre troupe de femmes s'essaye à la pastorale ancienne et représente Ximena à Tardets, à la satisfaction générale. L'errejent Batista Urruty dira même: « De toutes les pastorales que j'ai dirigées, Ximena restera mon meilleur souvenir » (propos recueillis par A. Aguergaray).

En 2014, une troupe de jeunes filles présente la pastorale d'Aliénor d'Aquitaine et montre que la pastorale a franchi l'entrée du XXIème siècle...

 

Maider Bedaxagar - Jean-Louis Davant

La perpétuelle querelle des anciens et des modernes

La perpétuelle querelle des anciens et des modernes

Lucien Etxezaharreta : "La Pastorale, ancienne et renouvelée"

Témoignages issus de la colecte orale Eleketa

"Gerezien denbora", la première pastorale urbaine, jouée en 2014

Table-ronde "Katalina de Erauso et pastorale(s) contemporaine(s)

Jean-Louis Davant: "Un vrai changement dans la pastorale"

La Pastorale, ancienne et renouvelée

Il ne faisait pas de doute en 1953 que la Pastorale tombait en désuétude lorsque Etxahun de Trois-Villes créa une oeuvre nouvelle autour de la vie de son homonyme le poète barkoxtar. Un demi-siècle s’est écoulé sur cette lancée et les hagiographies et éloges des grandes figures impériales telles que Charlemagne ou Napoléon ont été abandonnés au profit de personnages du Pays Basque. Il est notable que personne ne s’en offusqua ni du reste de la présence féminine, des musiques et jeux de scène nouveaux, des vêtements, toutes choses au fil des ans renouvelées, embellies, avec des textes de plus en plus courts, du chant élaboré et une expression théâtrale nouvelle. Cependant la structure de la Pastorale ne fut jamais mise en cause par les auteurs de plus en plus nombreux avec, parmi eux, un Junes Casenave gardien du purisme de l’oeuvre.
Ces dernières années, l’oeuvre Oiherko, donnée à Ahüzki en 2006, secoua le milieu pastoralier. Pour d’autres on parla de “non respect de la structure”, on souligna aussi l’importance grandissante de l’argent, les frais ou bénéfices importants, la présence exagérée de milliers de spectateurs. On accusa aussi de “verser dans l’opérette” et l’abandon du “caractère sacré” des pastorales. Les villages entraient dans une “course à la nouveauté” en abandonnant les oeuvres classiques de référence. De plus, la perte de l’euskara faisait-elle entrer la Pastorale dans l’illusion et ne recherchait-on plus que “l’aptitude à se vendre” en privilégiant la beauté du spectacle? Les intellectuels de Soule n’ont-ils pas, au nom de l’effet économico-culturel de ces oeuvres accepté toutes les dérives? Ce sont des questions qui se posent mais qui soulignent néanmoins la vie de la Pastorale et son implantation dans la durée.
 

Luxien Etxezaharreta

Pour aller plus loin, voir l'article ETCHEÇAHARRETA Lucien, ETCHECOPAR-ETCHART Hélène, La pastorale souletine mise au défi de se renouveler, Bulletin du Musée basque, 2006, no168, pp. 15-26.

 

Témoignages issus de la collecte orale ELEKETA

Plus d'informations sur ELEKETA

  Jean-Fabien Lechardoy évoque le côté lucratif de la pastorale, une représentation devenue une kermesse (repas, subventions, billet, livret...). L’aspect économique est trop important selon lui, et l'histoire de la pastorale passe à un second rang.

Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1039. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.

   

 

L'errejent évoque ici le nombre trop élevé d'acteurs dans les pastorales. Il souligne qu'une pastorale se fait avec des gens qui ont vraiment envie de jouer, avec les voix les plus belles, ceux qui parlent le mieux le basque. On fait normalement une pastorale avec 70 acteurs, mais 70 bons acteurs. Il prône une certaine exigence dans le choix des acteurs, malgré de rôle d'"ascenseur social" attendu de la participation à la pastorale.
 
    Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1040. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.

 

  Jean-Fabien Lechardoy dénonce l'obsession de l'esthétique dans la surenchère des costumes. Il explique que pour les quatre dernières pastorales qui traitaient de sujets se déroulant à la même époque, chaque village a créé ses propres costumes. Pourquoi tant de frais ?
Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1041. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.
   

 

  L’errejent Jean-Fabien Lechardoy répond à la question « que changeriez-vous à la pastorale ? ». Il réduirait le nombre d'acteurs, réduirait la dimension financière de la pastorale pour redonner à l'histoire sa vraie place.
Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1043. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.
   

 Plus de témoignages sur les pastorales

 

En 2014 s'est jouée à Bayonne la première pastorale urbaine, "Gerezien denbora".

Des images des répétitions de cette toute nouvelle forme de pastorale

 

En 2016, une table ronde est organisée à la médiathèque de Bayonne, intitulée "Katalina de Erauso et pastorale(s) contemporaine(s)"

Katalina de Erauso est une pastorale créée et présentée à Bayonne le 5 juin 2016 (salle Lauga), puis à San Sebastian le 4 septembre (théâtre Victoria Eugenia). Maite Berrogain et Pantxika Urruty, respectivement auteure et metteure en scène, présentent cette création et évoquent sa spécificité dans la longue lignée des pastorales souletines. La table ronde animée par Lucien Etxezaharreta réunit des artistes telles Nicole Lougarot et Ihitz Iriart qui ont dirigé des pastorales d’un genre nouveau. Cette forme théâtrale ancestrale mérite que l'on s’interroge sur son évolution, entre tradition et création. En basque avec traduction simultanée. Cette rencontre est organisée dans le cadre du programme Bilketa ; en partenariat avec l’Institut culturel basque et l’association Katalina Pastorala.

Retrouvez l'enregistrement de la table-ronde (en basque)

  • 01 - Luzien Etxezaharreta - Sarhitza
  • 02 - Maite Berrogain - Katalina de Erauso
  • 03 - Pantxika Urruty - Katalina de Erauso
  • 04 - Pantxika Urruty eta Maite Berrogain - Katalina de Erauso
  • 05 - Ihitz Iriart - Bibador pastorala
  • 06 - kantariak - Katalina de Erauso
  • 07 - Nicole Lougarot - Ederlezi pastorala
  • 08 - Eztabaida - Errejentearen lanaz
  • 09 - Eztabaida - Pastorala berritu
  • 10 - Eztabaida - Ihitz Iriart - Pastoralaren gaurko erronkak
  • 11 - Eztabaida publikoarekin
  • 12 - Eztabaida publikoarekin
  • 13 - Eztabaida publikoarekin

 

Jean-Louis Davant : "Un vrai changement dans la pastorale"

Jean-Louis Davant,auteur de pastorale a publié cet article, que nous reproduisons avec l'autorisation de l'auteur, le 18 octobre 2016, dans le magazine Enbata.

« Par l’extension de sa production loin de la Soule, la pastorale devient vraiment le théâtre national populaire des Basques »

Cet été, comme en celui de 2014, nous avons eu deux pastorales majeures : d’une part à Tardets (puis à Ochagavia) la pièce Jean Pitrau, de l’autre à Bayonne (puis à Donostia / Saint Sébastien et à Saint Jean Pied de Port) Katalina de Erauso. Elles ont apporté deux grandes nouveautés : des pastorales nées en dehors de la Soule, et ceci par la main de deux femmes.

Itxaro Borda fut la première à se manifester comme auteure de pastorale en 2014 à Bayonne avec la pièce Gerezien denbora (Le temps des cerises). Itxaro avait deux grands atouts : d’une part elle connaissait la Soule et le dialecte souletin, à peu de chose près comme les auteurs habituels de pastorales ; de l’autre elle n’est pas souletine : donc elle n’est pas accusée de trahison comme aurait pu l’être un Souletin, et de cette façon elle a ouvert la voie aux auteurs souletins pour offrir leurs textes hors de leur province. 

La seconde auteure de pastorale, la souletine bayonnaise Maité Berrogain Ithurbide, s’est exprimée cette année, également à Bayonne, avec la tragédie Katalina de Erauso. Toutefois elle l’avait rédigée voici une dizaine d’années au moins, car j’en ai parlé dans mon livre Zuberoako literaturaren antologia laburra (Brêve anthologie de la littérature souletine), édité en 2008.

Bien que beaucoup de Souletins l’ignorent, autrefois aussi l’on produisait des pastorales en dehors de la Soule, dans le proche Béarn, en particulier dans la vallée de Barétous, ainsi que dans la proche Basse-Navarre, surtout en Pays de Mixe.

Mais voici qu’elle fait un grand bond jusqu’à la capitale du Labourd, et l’on doit penser qu’elle pourrait naître aussi en d’autres lieux distants. Devons-nous le craindre ? Je ne crois pas. A mon avis la pastorale de Soule gardera sa place, car à la pièce de théâtre elle joint quelque chose d’autre : la fête particulière d’un village ou d’un groupe, qui commence le matin, et pour certains au moins se termine le lendemain, soit en matinée, soit vers le soir.

En dehors de la Soule, la pastorale sera autre chose : un théâtre majeur des Basques, point.  Il est vrai que depuis quelque temps elle était le spectacle principal, et presque l’événement majeur de l’été en Pays Basque nord. Mais du succès d’audience elle passe à la production élargie. De cette façon elle deviendrait, suivant le mot de Jean Vilar, « le théâtre national populaire des Basques », notre TNP.

D’autre part en dehors de l’été apparaît de temps en temps une pastorale plus menue, jouée par un petit groupe, donc plus mobile, comme voici quelques années Ederlezi de l’artiste bien connu Michel Etchécopar, jouée en divers lieux par quelques Souletins, et au printemps 2016 Joxemiel Bidador, baptisée à la pipérade navarraise, jouée par un groupe de Pampelune dans sa ville, puis à Gotein.

En Soule on évoque constamment les lois de la pastorale, mais sans jamais préciser quelles sont ces fameuses lois. Il semblerait que chacun a les siennes, très particulières et contraignantes. Ainsi nous filtrons les moustiques et nous avalons le chameau. Accrochons-nous aux branches maîtresses, en nous fiant aux rameaux nous tomberions. Pour moi la loi suprême est le caractère épique de la pastorale : celle-ci est par dessus tout une épopée. Deuxième loi : les trois portes et les deux couleurs, le rouge et le bleu, qui doivent paraître aussi dans les costumes. Elles valent également pour nommer les deux groupes opposés : les bleux et les rouges ; les appellations de « chrétiens » et de « turcs » correspondent à une époque historique révolue, elles sont aujourd’hui anachroniques ; parler de « bons » et de mauvais » me paraît trop moraliste ; donc pour moi le plus sûr et le plus neutre est de s’en tenir aux couleurs. Par exemple si un jour on joue ma pièce Abd el-Kader, les patriotes algériens devraient sortir par la porte bleue, et « nous » par l’autre, chaque groupe arborant sa couleur principale, sans être esclave d’une reconstitution historique des costumes comme le voudrait la mode actuelle.

Troisième grande loi, aujourd’hui oubliée de beaucoup ; le verset de la pastorale s’écrit en deux vers d’environ seize pieds chacun, bien que la plupart l’exposent sur quatre lignes, en coupant chaque vers en deux hémistiches (1). Et la pastorale passe par là, définie par le texte de l’auteur qui la conditionne toute ; chaque été elle raconte une histoire particulière liée à la grande Histoire. « Quelles nouveautés dans la pastorale de cette année ? » Par les moyens du théâtre antique elle expose aux yeux et aux oreilles la vie d’un nouveau héros : voilà la principale nouveauté que la pastorale apporte chaque année.

Jean-Louis Davant

(1)    Le verset de la pastorale est un faux quatrain et un vrai distique. Même quand on l’écrit sur quatre lignes, il ne faut que deux majuscules - l’une au début de la première ligne, l’autre au début de la troisième – et deux rimes - l’une au bout de la deuxième ligne, l’autre au bout de la quatrième ligne – ce qui montre bien qu’il y a deux vers et non pas quatre. Mais le mieux serait d'écrire sur deux lignes, ce serait plus clair pour tout le monde. Pourquoi insister sur la forme du verset ? Parce qu’elle a une grande influence pratique : le rythme du verset scande la voix et le pas de l’acteur. Si l’on rédige quatre courtes phrases au lieu de deux plus amples, l’acteur doit précipiter le pas et hacher le texte.