Les pastorales de femmes

 

Les manuscrits de pastorales sont de précieux témoins de l'ancienne forme des pastorales basques. Ils nous permettent d'en savoir plus sur ce vieux théâtre populaire. Une des caractéristiques majeures de la pastorale ancienne réside dans le genre : les pastorales ont longtemps été jouées uniquement par des hommes ou uniquement par des femmes, la règle étant, comme écrit Albert Léon, « de ne jamais mélanger les sexes sur scène ».

Certains manuscrits portent clairement la mention faisant allusion à la non mixité des acteurs de la pièce :

Geneviève de Brabant, Médiathèque de Bayonne, Ms11

« Cette pièce a été représenté [sic] le 7 juin 1849 par l[es] Mademoiselles de Mauleon »

 

Rappelons que dans le passé ce théâtre était réservé aux hommes, comme dans les autres pays européens. Mais ici, dans un contexte rural, la tradition machiste a duré plus longtemps que chez nos grands voisins de France et d’Espagne. Des femmes ont participé pour la première fois à un chœur de pastorale masculine en 1976, dans la pièce Santa Grazi du Père Junes Casenave, jouée par son village de Sainte Engrâce. Puis en 1980, elles ont eu accès aux rôles féminins dans la pièce Iparragirre, écrite par le poète de Troisvilles Pierre Bordaçarre / Etxahun-Iruri et jouée par le village d’Ordiarp.

Notons cependant que, de temps en temps, les femmes seules jouaient une pastorale dédiée à une reine ou à une sainte. Elle ne bénéficiait évidemment pas d’un prestige comparable à celui de la pastorale masculine, qui était évidemment la pastorale par antonomase, essence et définition, le masculin étant non moins évidemment l’expression de l’universel, reléguant le féminin dans le particulier et le privé.

Ce temps est heureusement révolu. Un handicap subsiste cependant du fait de l’héritage historique : une relative difficulté à trouver de grands rôles féminins. En effet jusqu’à une date récente et sauf exceptions notables, les femmes restaient exclues de la vie publique : dans la République Française, elles n’ont gagné le droit de vote qu’à l’automne 1944, après la libération du territoire, par une ordonnance du chef du gouvernement provisoire Charles de Gaulle. Certes les auteurs et les metteurs en scène s’appliquent à leur donner de beaux seconds rôles, mais ce n’est qu’à demi satisfaisant. Avec un peu d’audace, en cherchant bien, l’on trouvera bien quelques héroïnes dignes d’êtres portées au premier rang. Sur ce point les anciens faisaient mieux que nous, en célébrant de belles figures de reines ou de saintes comme Jeanne d’Arc, jouées il est vrai par de jeunes hommes peu barbus. Une exception à souligner : la pièce Madalena de Jauréguiberry, écrite par Pierre-Paul Berçaits et jouée en l’an 2000 par le village d’Esquiule. Honneur à eux !

 

Le 18ème et 19ème siècle

 

Le personnage de Jeanne d'Arc, Ossas, 1910. M. de Bayonne. Ms112

La première mention de pastorale de femmes est faite par Georges Hérelle (historien spécialiste des pastorales, 1848-1935) : en 1796, l'administration centrale aurait interdit une représentation prévue à Licq.

La première représentation aboutie aurait été celle de Sainte-Engrâce, jouée à Licq en 1831. Cette même pastorale est jouée à Aroue en 1835. Une autre pièce souvent représentée par des femmes est celle de Geneviève de Brabant. Les filles de Mauléon la jouent le 7 juin 1849 à Mauléon et elle est également jouée à Uhart-Mixe en 1863 (année incertaine), ainsi qu'à Montory en 1878. Enfin, autre sujet de représentation très répandu, Hélène de Constantinople ou Sainte-Hélène est représentée à Viodos en 1850 et 1870, à Sauguis en 1874, à Uhart-Cize en 1875 et à Garindein en 1874. Ainsi une dizaine de représentations auraient été jouées par des femmes au 19ème siècle.

La pastorale de femmes ne semblait pas jouir du même prestige que celle des hommes. Nous ne connaissons pas le nombre exact de représentations jouées par des femmes, mais elles étaient beaucoup moins nombreuses que celles données par des hommes. Il est d'autant plus difficile de connaître leur quantité, que de nombreux sujets féminins étaient interprétés par des hommes. C'est systématiquement le cas avec Jeanne d'Arc. En 1834, les jeunes hommes de Gotein jouent aussi Hélène de Constantinople et ceux de Tardets font de même en 1840. Pour la représentation de Sainte Marguerite en mai 1818 à Larribar et en 1825 à Espès, les acteurs semblent également tous être des hommes.

Lire le témoignage de Jean-François Samazeuilh sur la pastorale Sainte Hélène jouée par des filles à Abense en 1850. Voyageur dans les Pyrénées, il publie Voyage de Bayonne aux Eaux-Chaudes, en passant par la Basse-Navarre et la Soule en 1858.

 

Le 20ème siècle

 

La première représentation de femmes du 20ème siècle – il  existe encore bon nombre de souvenirs sur cette pastorale dans la mémoire orale – est celle de Sainte Marguerite, jouée en 1905 à Aussurucq. Elle est jouée le lundi de Pentecôte.

Quelques années plus tard en 1909, Ordiarp joue Sainte-Hélène dans une ambiance assez désastreuse. En effet, le village joue la même année trois pastorales, du fait de la mésentente entre villageois ! On organise d'abord Roland pour le lundi de Pâques, mais le curé tente de faire échouer la représentation. Il n'y parvient pas et organise la représentation d'Abraham avec ses partisans. Mais, le maire ne donnant pas la permission de la jouer sur le théâtre déjà construit, ni dans un lieu public, ils construisent une nouvelle scène dans une propriété privée et jouent Abraham le 31 mai 1909. Les filles de leur côté, et en accord avec le maire, décident de jouer Sainte-Hélène sur le théâtre construit près de l'église. Pour contrer cette représentation, le même jour, les partisans du curé rejouent Abraham sur leur scène, mais n'attirent que très peu de monde !

La représentation de Sainte-Hélène se fait dans des conditions météorologiques très difficiles. Léopold Irigaray, fidèle informateur souletin de Hérelle, rapporte dans sa correspondance que la pluie ne cesse de tomber avant et pendant la représentation et que de ce fait, vers 15h30, une partie des gradins s’effondre causant de graves dommages (un mort et plusieurs blessés).

         
Pastorale Sainte-Hélène, Ordiarp, 1909 - Médiathèque de Bayonne. Ms112   Billet d'entrée pour la pastorale Sainte-Hélène - Médiathèque de Bayonne. Ms112

 

Les mêmes filles d'Ordiarp rejouent Sainte-Hélène à Mauléon le dimanche 17 octobre 1909. Irigaray écrit qu'il s'agit d'une représentation « au profit des blessés, de leur catastrophe. ». La représentation a lieu au trinquet, sous la direction de Jean Héguiaphal. Georges Hérelle, présent le jour de la représentation, rapporte dans ses archives qu'il s'agit d'une troupe uniquement constituée de femmes sauf « les rôles des satans, et dans les cas particuliers, ceux du lion et du loup qui doivent enlever les enfants d'Hélène » Pour le reste, « les autres personnages, rois chrétiens ou Turcs, soldats chrétiens ou Turcs, courrier... etc sont des filles ».

Pastorale Sainte Hélène, Chéraute, 1908. Médiathèque de Bayonne - Ms112

Ainsi,  les femmes jouent également des rôles d'hommes. Elles ne semblent pas déguisées en hommes pour autant : toutes les femmes sont en robe. Hérelle écrit d'ailleurs que « [les] filles tenant les rôles masculins sont toutes habillées en robes, mais les robes sont courtes, descendant à peine plus bas que le genre, [et, les] filles faisant des rôles de femmes [...] ont toutes des robes longues descendant jusqu'à terre ».

L'année précédente, en 1908, Chéraute joue également Sainte-Hélène en son village, le premier dimanche de Pâques. La particularité de cette représentation réside dans la mixité des acteurs: les rôles des Turcs, de l'évêque, de l'ange et du pape auraient été tenus par des hommes, ainsi que l'atteste une photographie.

 

 

Une entorse aux usages

 

Des représentations dérogent en effet à la règle : des hommes et des femmes jouent parfois ensemble sur scène. Dans Causeries sur le Pays Basque, Mme Charles d'Abbadie d'Arrast écrit : « On joua sur la place d'Uhart Cize près de Saint-Jean-Pied, Geneviève de Brabant : il y avait ensemble des hommes et des femmes ».De son côté, Hérelle écrit qu'en 1868 à Licq, une fille joue le rôle de Satane. Il rapporte également que pendant la période révolutionnaire Clovis aurait été joué par des hommes et des femmes, ainsi que l'atteste la mention manuscrite du bas du cahier : « lundi 30 mai 1799, ont joué cette pièce, par les citoyens et citoyennes ci bas nommés ». Ces participations féminines semblent tout de même relever de l'exception.

La mixité des acteurs de pastorales ne verra vraiment le jour que dans les années 1980. C'est alors que les femmes commencent à intégrer les pastorales d'hommes. En 1976, dans la pastorale Santa Grazi du Père Junes Casenave, elles intègrent le chœur de la pastorale pour la première fois, et en 1980 elles jouent les rôles de femmes dans la pastorale Iparagirre à Ordiarp.

 

La pastorale de femmes ne disparaît pas

 

Pour autant, la tradition des pastorales constituées uniquement de filles ne se perd pas. En 1953, plus de quarante ans après, les filles de Licq redonnent une pastorale de femmes en leur village, avec pour süjet Sainte-Hélène, et pour protagoniste Gracieuse Aguer. En 1979, une autre troupe de femmes s'essaye à la pastorale ancienne et représente Ximena à Tardets, à la satisfaction générale. L'errejent Batista Urruty dira même: « De toutes les pastorales que j'ai dirigées, Ximena restera mon meilleur souvenir » (propos recueillis par A. Aguergaray).

En 2014, une troupe de jeunes filles présente la pastorale d'Aliénor d'Aquitaine et montre que la pastorale a franchi l'entrée du XXIème siècle...

 

Maider Bedaxagar - Jean-Louis Davant