Origines et évolution de la pastorale

 

En 1750 fut joué "Sainte Elisabeth de Portugal" : la pastorale la plus ancienne dont nous ayons le texte. L’on a voulu la faire précéder de la pièce Saint Jacques en attribuant à celle-ci une date plus antique ; mais le professeur d’université, membre de l’Académie de la langue basque Bernard Oyharçabal a démontré scientifiquement que c’était inexact.

Quid avant 1750 ? Divers auteurs ont cherché l’origine de ce théâtre : le Souletin Jüsef Egiategi (1785), le Prussien Wilhelm  Humbolt (1801), le Tardésien Augustin Chaho (1835), le Labourdin  Jean-Pierre Duvoisin (1841), le Gascon J. F. Bladé (1843), le Français Francisque Michel (1857), le Britannique Wentworth Webster (vers la fin du XIXème siècle), Georges Hérelle…

Enfin Hérelle vint ! Professeur au lycée de Bayonne à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, Georges Hérelle devint l’historien de la pastorale. Pendant quinze ans, de 1899 à 1914, il suivit les diverses représentations. Ne sachant pas la langue basque, il se fit aider d’un connaisseur et traducteur, Léopold Irigaray, de Laguinge. Il enquêta sur le terrain, prit des notes, recueillit de nombreux manuscrits et en fit faire des copies qu’il confia à la bibliothèque municipale de Bayonne et à la bibliothèque nationale de Paris. Il publia des articles sur ce théâtre basque dans diverses revues, puis il rassembla ces études dans plusieurs ouvrages :

La représentation des pastorales à sujets tragiques, Paris, 1923

Les pastorales à sujets tragiques considérées littérairement, Paris, 1926

Le répertoire du théâtre tragique. Catalogue analytique, Paris, 1928.

 

         
Billet d'entrée pour la pastorale Abraham jouée à Ordiarp en 1909 - M. de Bayonne. Ms112   Pastorale Abraham, Ordiarp, 1909 - Médiathèque de Bayonne. Ms112

 

Pour lui la pastorale vient du théâtre médiéval français, plus précisément des mystères (ou ministères) dont elle aurait gardé la technique : notamment prologue, scènes, épilogue, ainsi que le répertoire : Ancien Testament, Nouveau Testament, Hagiographie (vies de saints), Romans de gestes et d’aventures, Histoire légendaire…Il en voit l’introduction en Soule dès le XVème siècle.

Pour sa part, le Père Junes Casenave, auteur de nombreuses pastorales, pense que ce théâtre basque est beaucoup plus ancien et original. Il rejoint sur ce point l’opinion d’Augustin Chaho qui, en 1835, la faisait remonter à plus de mille ans.

Par contre Bernard Oyharçabal estime que la pastorale souletine est assez tardive. Bien qu’elle ait hérité pour lui aussi du vieux théâtre religieux français, il en situe la naissance au XVIIème siècle. Le texte le plus ancien que l’on connaisse est de 1750, certes, mais il montre un genre littéraire très mûr, très organisé, dont la mise au point a logiquement nécessité plusieurs générations de tâtonnements et d’adaptation.

Dominique / Txomin Peillen, également académicien de la langue basque et professeur d’université, a le même point de vue, avec aussi l’argument que voici : les textes des pastorales du XVIIIème siècle portent des traces du basque du siècle précédent, qui ont évolué ou disparu par la suite. Il complète son appréciation par l’idée suivante : la pastorale basque serait née d’un esprit de résistance de la Soule face aux dirigeants calvinistes du Béarn, et en particulier aux magistrats de Pau qui jugeaient les Souletins en appel sous Louis XIII. Le zèle calviniste de Jeanne d’Albret, puissante voisine enclavant la Soule entre ses deux domaines de Béarn et de Basse-Navarre (mais celle-ci restant catholique, comme la paysannerie souletine) laissait durablement des souvenirs cuisants. Craignant d’une part les appétits hégémoniques de leur grande voisine, de l’autre l’abolition d’une liturgie luxuriante avec ses belles statues, images, cérémonies, processions, pélerinages tenant agéablement lieu des froides écritures saintes, que la majorité ne savait d’ailleurs pas déchiffrer, les Souletins auraient donc réagi en célébrant sur les planches aussi le culte des saints rejeté par les calvinistes ; et ils le firent en langue basque, bien que beaucoup pratiquassent aussi le béarnais, variété régionale d’une langue très étendue et en ce temps-là prestigieuse. Cette idée ne manque pas de logique et de vraisemblance.

 

         
Pastorale d'Etchahoun Etxahun-Iruri. Barcus, 1962
  Pastorale Agota de J. Casenave. Alçay-Lacarry, 1999

 

Nous avons évoqué de façon très globale le répertoire de la pastorale. Celui-ci a connu récemment un changement considérable : l’introduction de personnages de l’histoire des territoires basques, donnant ainsi un second souffle à ce théâtre, qui commençait à sentir la naphtaline, avec ses éternelles histoires de chrétiens et de turcs frappées d’obsolescence. Ce grand virage est dû au poète de Troisvilles Pierre Bordaçarre, dit Etxahun-Iruri. En 1953 il fit célébrer à Barcus la mémoire de son homonyme Pierre (Topet), Etxahun-Barkoxe, poéte du XIXème siècle. Au total il a produit neuf pièces, dont huit consacrées à des héros basques ; il en a tout de même dédié une à la Castillane Ximena, renouant ainsi au passage avec la longue tradition de ce genre littéraire.

Voir un extrait de la pastorale Zantxo Azkarra, écrite par Etxahun et jouée à Gotein en 1963.

Autre auteur qui a marqué le ton dans le nouveau cours de la pastorale : le Père bétharramite Junes Casenave, natif de Sainte Engrâce. Il nous apporte la rigueur historique, la régularité d’une versification jusque là très libre, et un niveau élevé de la langue, notamment dans son lexique. Jusque là l’auteur de pastorale, y compris Etxahun-Iruri, adaptait librement une histoire légendaire écrite en français. Casenave fouille d’abord la biographie de son héros dans les archives et les livres de fond. Les auteurs plus jeunes s’efforcent de suivre son exemple sur ce point, ainsi qu’en matière de versification, et autant que possible dans la qualité linguistique et littéraire.

 Actuellement il y a une douzaine d’auteurs, et il devient difficile pour chacun de faire jouer sa pièce. Par contre les « errejent » ou metteurs en scène sont peu nombreux.

 

La maquette de la pastorale Napoléon 1er (1927) conservée au musée basque et de l'histoire de Bayonne : permanences et évolutions.

 

          Sophie Larrandaburu, chef de choeur, présente les évolutions de la pastorale entre 1927 (date de la maquette de la pastorale Napoléon Ier conservée au Musée Basque et de l'histoire de Bayonne) et aujourd'hui. Dans cette première vidéo, elle décrit la scène de la pastorale dont la forme a évolué, tout en conservant le code traditionnel des couleurs. Elle revient aussi sur l'évolution des sujets de pastorales et sur le changement marqué par Etxahun au 20e siècle.
Musée basque et de l'histoire de Bayonne    
     
Sophie Larrandaburu décrit ici le rôle de l'errejent et des musiciens. Elle explique que le déplacement du public de la scène vers des gradins plus éloignés a conduit à la sonorisation des pastorales. Enfin, elle remarque que malgré l'évolution de la pastorale à travers le temps, certains traits particuliers à ce théâtre souletin ont été conservés : la déclamation des vers, les mouvements d'entrée et de sortie ou la présence de la musique.          
    Musée basque et de l'histoire de Bayonne

 

La pastorale reste très vivante et populaire, malgré la diminution de la population souletine, et surtout de sa partie bascophone. Cette perte est compensée par l’afflux croissant des voisins basques de Basse-Navarre et du Labourd, qui tendent à constituer la  moitié du public. Une part vient aussi du Béarn. Chaque année en Soule,  et même dans l’ensemble du Pays Basque nord (ou d’Aquitaine), la pastorale est l’événement central de l’été. Jean Vilar avait bien raison de dire qu’elle est « le théâtre national populaire des Basques ».

 J.-L. Davant