Texte écrit par Beñat Oyharçabal, 2013

Présentation

La plupart des manuscrits se présentent sous la forme de fascicules ou cahiers, c’est-à-dire de feuilles doubles, pliées ensemble, et grossièrement cousues de fil. Pour les formats les plus petits, les fascicules sont regroupés et brochés. Le papier le plus ancien est assez épais, et lorsque les manuscrits ont été conservés dans leur entièreté, ils sont lisibles bien qu'écrits sur les deux faces de chaque feuille.

Le plus souvent le papier est utilisé dans sa totalité, c'est-à-dire en recto-verso et sans aucune marge. Dans le cas le plus commun, sur chaque feuillet figurent deux colonnes de versets (bertset en basque dans le lexique des pastoraliers) écrits généralement sous forme de strophes de quatre lignes avec assonance sur la deuxième et la quatrième, rarement sur deux lignes, en distiques (de rares manuscrits associent les deux modes de disposition). Les strophes sont séparées par un simple trait, et le texte est donc continu. Les vers ne sont pas mesurés et chaque ligne de verset peut être longue (jusqu'à 15 syllabes) ou courte (5 syllabes).

La seule contrainte formelle était donc l'assonance sur les deux lignes paires des versets. Cette irrégularité dans la mesure n'était pas la conséquence de quelque maladresse, mais inhérente au genre dans la tradition. La disposition en versets correspondait au mode de déclamation, lequel, comme on le sait, est fixe et suit un patron constitué de quatre périodes musicales, avec un patron pour la pastorale proprement dite, et deux autres, distincts, pour les prologues et les anges.

La syntaxe des textes se conformait à cette structure, ce qui était une obligation eu égard à l'effort demandé aux acteurs, comme aux spectateurs. Aussi, bien que les textes de pastorales anciennes ne fussent pas ponctués, et qu'ils fussent chantés suivant une même mélodie, cela ne créait pas de difficultés particulières quant à leur leur mémorisation ou leur compréhension.

Didascalies

Il arrive que dans certains des manuscrits les plus anciens, les indications scéniques soient écrites en rouge, suivant en cela le vieil usage des rubriques connu en Europe dans les écrits anciens. C'est le cas du manuscrit de Bassagaix, ou de la pastorale de La destruction de Jérusalem. En raison des mauvaises conditions de conservation, il n'est pas rare que les bords des feuilles des cahiers soient endommagés, et il est également fréquent que l'absence de véritable reliure ait eu pour conséquence la perte de feuilles en début ou en fin de cahier. Ceci est important, car dans nombre de cas, les manuscrits qui nous sont parvenus et auxquels il manque, en partie ou dans sa totalité, la dernière feuille, ne peuvent être datés avec précision, puisque la mention indiquant la date et le lieu de la représentation, et le nom du régent, figurait généralement dans cette page.

La reproduction d'une demi-page du cahier de la pastorale de Saint Julien de la copie de Bordeaux, datée de 1770, illustre le mode de disposition habituel.

En observant, le document nous pouvons voir, en haut à gauche et en bas à droite, que les indications de jeu, les didascalies, sont insérées entre les versets. Elles ont en partie codifiées, et le plus souvent exprimées par un radical verbal, jamais conjugué.

Les entrées et sorties sur scène des personnages sont toujours indiquées par les verbes jalki (le personnage 'sort' sur la scène, c'est-à-dire qu'il apparaît sur les planches en venant de derrière la scène par la porte du camp, turc ou chrétien, auquel il se rattache) et erretira (le personnage se retire de la scène, autrement dit, il la quitte).

La prise de parole est indiquée par le verbe mintza, parfois abrégé en Ma. Le mouvement des acteurs sur scène par le verbe paseia et leur arrêt par le verbe bara.

L'intervention de la musique par l'emploi du nom sonu (parfois du verbe sona), les batailles par bataila.

Dans l'extrait du manuscrit de Saint Julien, on peut lire au début : "Julien jalky / Belharica eta minca", ce qui indique que Julien doit entrer en sur scène, s'agenouiller, et déclamer les versets qui viennent à la suite. A la fin de l'extrait, il est indiqué : "retira / Julus Justina eta Julien jalky / Justina minca". Cela signifie que Julien, alors seul sur scène, se retire, puis qu'il entre à nouveau en scène, en compagnie de Julus et Justina, puis que Justina parle.

Pour les batailles, qui sont, comme on le sait, l'objet d'un jeu de représentation codifié lorsque l'histoire contée les rend nécessaires, on fait suivre, dans la didascalie, bataila du nom du camp des vaincus avec un suffixe de mouvement.

Dans l'extrait du manuscrit de Charlemagne (Médiathèque de Bayonne), Batailla türkietarat signifie que le mouvement des combattants s'engagera et se terminera du côté turc, ces derniers étant vaincus.

Les indications scéniques des vieux cahiers montrent également que l'espace scénique pouvait inclure l'avant-scène, qui était libre, sans siège réservé aux spectateurs. Cet espace était utilisé en particulier pour les arrivées à cheval précédant généralement des scènes de siège militaire ou de bataille.

Les didascalies extraites de la pastorale de La destruction de Jérusalem (Médiathèque de Bayonne) illustrent de tels jeux :

La première didascalie annonce l'arrivée à cheval d'un roi et de son armée pour intervenir dans une bataille :

"ordian eman bataillabat / handiric eta berdemboran / Volages Erregue heltzenda / triate aitciniala eta oro camariz / Bestic bara. Minça Volages"

[On donne alors une grande bataille et en même temps le roi Volages arrive devant la scène, tous à cheval; les autres s'arrêtent. Volages parle]. L'intervention du roi à cette arrivée se fait donc depuis le bas de la scène, le roi étant à cheval.

La seconde didascalie indique ensuite que le roi Volages va prendre part à la bataille sur la scène au côté de son allié, Vespasien :

"ordin eraix camariti orain / eta sar triatin eta jar / Vespasienen herr[o]can / eta minc[a] Volages"

[Il descend maintenant de cheval / et il entre sur la scène dans le rang de Vespasien; et il parle]. Observons, que pour indiquer l'entrée sur scène par le petit escalier devant la scène (et non par le tapis de l'arrière de la scène), le verbe utilisé dans la didascalie n'est pas jalki ('sortir'), comme pour les entrées en scène habituelles, mais sar ('entrer').

Prologues et Epilogues

Les représentations des pastorales sont introduites par un mouvement de scène particulier déclamé sur un air spécifique, au cours duquel, on présente leur sujet et leur trame. On y met fin, ensuite, de manière symétrique. Dans les manuscrits, ces morceaux, appelées en français premier prologue et dernier prologue (conclusion aussi, parfois) et en basque lehen pheredikia (certaines fois entrada) et azken pheredikia (quelquefois konklusionia), sont disposées séparément.

Ces prologues et épilogues ne sont pas considérés comme faisant à proprement parler de la pastorale, et sont souvent regroupés dans les cahiers à la fin du cahier, avec un comptage des versets à part.

C'est le cas dans le manuscrit de la pastorale de saint Louis (Médiathèque de Bayonne, cahier de JP Saffores), où prologue et épilogue viennent après que le mot 'fin' ait été mis à l'achèvement de la pastorale proprement dite.

Personnages

Sur beaucoup de manuscrits apparaît également une liste des rôles, fréquemment accompagnée du nombre de versets qui correspondent à chaque rôle. Parfois, ce listage, qui doit tenir compte des acteurs ayant plusieurs rôles, s'effectue en même temps que l'on indique les compagnies ou rangs, c’est-à-dire les groupes, qui entreront en scène successivement.

C'est le cas dans le manuscrit de la pastorale de Clovis (janvier 1770, [Abense?]-de-Bas) qui est prévue pour 22 acteurs sans compter les anges. L'indication illustrant cet usage et qui figure en tête de cette page est la suivante : " Les Compagnies ou Il Seront aussy marqués les doubles emplois sont cy Bas només Et joint avec leurs autres parties ".

Auteur : Beñat Oyharçabal

Poursuivre la navigation :

<< Article précédent

Ce que nous apprennent les cahiers

Article suivant >>

La préservation des cahiers