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Le texte s’écrit en langue basque, plus précisément en dialecte souletin, variété régionale de ladite langue. Il est psalmodié, sur un air issu du grégorien, par les acteurs qui déambulent sur le plateau suivant des codes précis, en scandant du makila leur double pas, ce qui marque fortement le rythme. Il est partagé en versets de deux vers. Chaque vers compte de quatorze à dix-huit syllabes, soit en moyenne seize pieds, avec une césure au milieu. Sur le livret, le verset s’écrit le plus souvent en quatre lignes, ce qui lui donne l’aspect d’un quatrain. Mais c’est un faux quatrain et un vrai distique.
La pièce compte au total 220 à 250 versets en y incluant ceux des chants, qui sont écrits sur d’autres modèles : souvent de vrais quatrains en vers classiques de treize pieds, équivalant à l’alexandrin français, avec césure au septième pied. Le texte est prévu pour être joué normalement en trois heures.
Toutes les deux ou trois scènes, un chant ponctue l’action en rompant la relative monotonie des dialogues grégoriens. Il est interprété en solo, en duo ou en chœur. Deux autres faits entrecoupent les séries de dialogues : d’une part les batailles rituelles qui opposent les bleus et les rouges, de l’autre les danses souletines – de tradition classique – avec en prime les coups de langue salés et poivrés des danseurs ou satans, qui enchantent le public et soutiennent les rouges. Là aussi une tendance nouvelle, initiée en 1990 à Mauléon dans la pièce Abadia Ürrüstoi (d’Abbadie d’Arrast) : l’intervention des « dames turques », à la chorégraphie dynamique ; on les charge de rappeler vertement des vérités désagréables, mais qui doivent se faire entendre. Dans ce rôle elles se substituent largement, quoique non totalement, aux satans, dont on préfère les entrechats aux discours. Ce nouveau rôle permet aussi une participation accrue des femmes, désormais plus nombreuses que les hommes dans ce théâtre basque.
Ce livret permet de suivre la pièce, surtout aux personnes non bascophones. Pendant quelques décennies il a été trilingue : basque, français, castillan. Aujourd’hui la tendance est au bilinguisme basque-français. Le public basque du sud des Pyrénées et de la Bidassoa, moins nombreux que naguère, et de toute façon résolument bascophone, ne vient pas ici pour lire du castillan. Autre tendance : la version résumée de chaque verset prend le pas sur la traduction intégrale, permettant au non bascophone de jouir de la pièce sans être absorbé par une trop longue lecture.
C’est un théâtre complet, associant les dialogues chantés avec de la musique, des chants individuels ou de groupe, des marches liturgiques héritées de la procession, des gestes également rituels, de la danse souletine et parfois exotique quand le contexte le demande…
Ce n’est pas un théâtre réaliste, à la façon par exemple du théâtre de boulevard ; il ne représente pas directement la réalité, il la signifie par un ensemble de moyens qui lui sont propres : l’on pourrait donc le qualifier de théâtre symboliste, et même surréaliste. Il se déploie dans une ambiance toute spéciale de merveilleux, de magie et d’enchantement.
Une observation superficielle fait parfois qualifier la pastorale d’opérette, mais ce diminutif et ce côté un peu léger ne lui conviennent pas du tout, en raison de son côté tragique, et surtout épique : c’est un théâtre noble, avec un fond de gravité, qui le distingue nettement de la comédie musicale. C’est plutôt l’équivalent basque de l’opéra.
Auteur : Jean-Louis Davant