Les manuscrits anciens
Les manuscrits de pastorales anciennes, autrement dit des pastorales antérieures au XXème siècle, représentent un bien patrimonial de grande valeur ; ceci à un double titre : d'une part, sur le plan linguistique, parce qu'ils constituent un corpus de textes basques, en dialecte souletin, d'une grande richesse ; d'autre part, sur le plan littéraire, parce qu'ils nous permettent de connaître le passé d'un théâtre populaire en langue basque, qui perdure en ce début de XXIème siècle, sous une forme évidemment renouvelée.
Sans cette documentation, sauvée surtout grâce à l'action de quelques érudits à la fin du XIXème siècle ou au début du XXème, nous ne saurions que fort peu de choses de l'ancien répertoire. Ces manuscrits sont, en effet, la principale source d'information que nous ayons relativement au passé de ce théâtre.
Les plus anciens qui nous soient parvenus remontent au milieu du XVIIIème siècle, et ce n'est à partir du milieu du XIXème siècle que nous commençons à avoir les premières descriptions de représentations. Et c'est encore un peu plus tard, à partir du début du XXème siècle, que la connaissance relative à ce théâtre progresse considérablement, grâce surtout aux travaux d'un professeur de philosophie, d'origine champenoise, ayant fini sa carrière au lycée de Bayonne, George Hérelle.
Mentions de représentations
Les manuscrits de pastorales, appelés usuellement cahiers, nous permettent de saisir la nature profonde de ce théâtre populaire. Sous leur forme complète, ils offrent dans leur partie finale une mention rédigée généralement en français, (un français quelque peu approximatif dans bien des cas), grâce à laquelle on est en mesure de savoir quand, et souvent où, a été représentée cette pastorale, et qui fut le régent, également copiste.
Un exemple de ces mentions est rapporté ici ; elle figure à la fin de la copie de la pastorale de Jean de Paris du Musée Basque, et indique : "A Larrau le 25 juin 1760, yl a esté joué la presante pastouralle, fait la presante coppie par moy, Pierre d’Arhex, cordonier ".
C'est principalement grâce à ces mentions que l'on a été en mesure d'identifier une soixantaine de régents jusqu'au XXème siècle. Ceux-ci indiquant parfois leur métier, ainsi qu'on le voit dans le cas du manuscrit d'Arhex montré en illustration, nous pouvons alors connaître leur état. C'est ainsi que l'on peut observer qu'ils étaient de condition modeste et qu'ils n'étaient pas, sauf exceptions (trois cas attestés), enseignants, malgré le nom de régent qui leur est donné à partir du XIXème siècle (le mot basque est errejent, vocable qui résulte de la basquisation de régent ; ce dernier terme est attesté dès le 18ème siècle dans le contexte des pastorales, et il désigne également l'instituteur d'école).
Certaines fois, les régents agrémentent leur copie d'une observation, d'un type très répandu dans la littérature populaire, pour le cas où le cahier se perdrait. Ils le font alors toujours en français, et non sans humour, se qualifiant volontiers de brave ou bon garçon. Voici par exemple ce qu'indique J-P Saffores dans la copie de la pastorale d'Astyage qu'il fit représenter en 1836, en manière d'autoportrait :
"[Si] Ce Cayer vient a perdre / le quelqu'un trouver; jl aura
la bonte de rendre au Sieur / J Pre Saffores cordonnier de tardets
qui est un brave homme reconnu / par tout son pays et un homme
comme il faut pour manger / quelque tranche de jambon et
les eufs frigit dans la poile / pendant tout le temps de l'année
a la place de chardines."
Le régent
Les manuscrits permettent aussi de comprendre que, dans cette tradition, la figure de l'auteur, au sens moderne du terme, est absente : il n'y a que des régents, qui fournissaient également les textes, car cela représentait l'une de leurs tâches principales. Ils établissaient les copies correspondant aux représentations, en utilisant des copies antérieures qu'ils avaient achetées, ou dont ils avaient hérité, ou bien en adaptant eux-mêmes en basque des histoires rencontrées dans la littérature populaire, en langue française en général, et, selon G. Hérelle, espagnole aussi parfois.
Au XIXème siècle, en suivant ce procédé, des thèmes correspondant à l'histoire contemporaine, ou proche, ont été adaptés ; ainsi, plusieurs pastorales ont eu pour sujet l'empereur Napoléon. Lorsqu'un régent adaptait ces histoires pour composer des pastorales souletines, il agissait certes comme un auteur à nos yeux, mais cette notion ne faisant pas partie de la tradition en ce temps, ces textes pouvaient être acquis par d'autres, et ensuite librement transformés. Aussi, dans le cas général portant sur le répertoire ancien, il n'est pas possible de déterminer à la vue du seul manuscrit et de ses indications, s'il s'agit ou non d'une copie plus ou moins recomposée, ou d'un texte premier dans le cadre des pastorales souletines.
Dans la mention du manuscrit de la pastorale représentée à Larrau en 1760, le régent précise, d'une part, quand et où la pastorale a été jouée et, d'autre part, que lui-même en a fait la copie. Le plus souvent, les choses ne sont pas aussi clairement distinguées : les mentions font apparaître une date - c'est alors la date d'une représentation -, et un nom indiquant que ce régent signataire a fait, copié, composé, voire traduit la pastorale, ou qu'elle lui appartient.
Mais il convient de ne pas toujours s'arrêter ou se restreindre au sens strict de ces verbes, car ordinairement, la même personne est le régent, le copiste et le propriétaire du cahier utilisé pour la représentation donné à la date et, souvent aussi, au lieu indiqués.
Par exemple, lorsque J-P. Saffores indique à la fin de la copie du manuscrit de Charlemagne (Médiathèque de Bayonne) : "La piece appartient à Jn Pre Saffores ainé de Tardets, le 13 avril 1854 ", il n'est pas possible de savoir le lien exact de l'auteur avec ce texte. Ce n'est que par la comparaison avec d'autres manuscrits, que l'on pourra savoir qu'il en fut le copiste, et que le texte avait été pour l'essentiel établi par ailleurs, puisqu'un autre manuscrit, plus ancien, écrit par un autre main, existe, qui correspondant à une représentation ayant eu lieu à Esquiule [1] en 1834 (manuscrit de la Bibliothèque nationale de France).
Le copiste de ce dernier cahier faisait, quant à lui, apparaître la mention suivante : "Cete piece jl est composse par Bassagaix de Esquiule le 22 maye 1835, sa sera le Dernie piéce, je traduit 20 pieces". Malgré l'emploi ici du verbe composer, la date indiquée doit certainement être interprétée suivant l'usage, comme renvoyant à la date de la représentation, et non à la fin de la rédaction de la copie. De même, on ne peut conclure de cette indication que le texte de cette pastorale avait été réellement composé par Bassagaix (que Saffores aurait ensuite repris). En effet, un examen des deux textes montre que les deux copies ont eu très probablement, de façon directe ou indirecte, une source ou des tierces. On remarquera, par ailleurs, l'emploi de verbe traduire dans la mention de Bassagaix (" j'ai traduit vingt pièces ") : on pourrait penser que ce régent veut signifier par ce verbe qu'il a transposé en autant de pastorales souletines une vingtaine de récits écrits en français, mais il est probable qu'en réalité, il voulait simplement indiquer qu'il avait été le régent d'une vingtaine de pastorales, dont il lui avait fallu établir le texte et transposer en tableaux scéniques, que tout cela fut pour l'essentiel copié, comme certainement dans le cas de la pastorale de Charlemagne, ou pas.
L'absence de toute notion d'auteur, s'accompagne de toute idée de texte authentique, ou premier. Les textes des pastorales étaient établis pour être joués dans des conditions données, et ils pouvaient être, en fonction des circonstances, librement tronqués, augmentés, modifiés, mélangés à partir de plusieurs sources, être l'objet de toutes sortes de modifications, sans que le régent-copiste ait à se justifier de quoi que ce soit, à l'égard de quiconque. C'est la raison pour laquelle on trouve des pastorales dont le nombre de versets varie considérablement selon les copies, et surtout des manuscrits hétérogènes, témoignant de fortes contaminations textuelles, c'est-à-dire associant dans une même pastorale des fragments de pastorales différentes, n'ayant le plus souvent rien à voir entre elles, ni quant au sujet, ni quant à l'époque, ni même parfois quant au genre, lorsque des farces sont incluent au sein de tragédies.
Auteur : Beñat Oyharçabal
Poursuivre la navigation :
<< Article précédent
Article suivant >>
- [1] : Le nom de la ville qui est également souvent mentionné dans les mentions de fin de cahiers correspond soit au lieu de représentation, soit à l'origine du pastoralier. Dans le cas de J-P. Saffores, qui fut le plus important des régents dans la première moitié du XIXème siècle, il fut également un collectionneur de cahiers, puisqu'on lui prétait la possession de 70 pastorales. Son fils ou son neveu, Jean-Baptiste Saffores recueillit sa collection en faisant apparaître sa signature de propriétaire sur les cahiers, bien que lui-même n'ait pas été le régent. Dans beaucoup de ces cahiers, comme par exemple celui de Charlemagne, ou encore celui de saint Louis dont il est parlé plus loin, la mention de la ville (Tardets) correspond, selon toute vraisemblance, au fait qu'il en était natif et qu'il y vivait, et non nécessairement au lieu de représentation.