La Pastorale, ancienne et renouvelée

Texte écrit par Lucien Etxezaharreta, 2013

Il ne faisait pas de doute en 1953 que la Pastorale tombait en désuétude lorsque Etxahun de Trois-Villes créa une oeuvre nouvelle autour de la vie de son homonyme le poète barkoxtar. Un demi-siècle s’est écoulé sur cette lancée et les hagiographies et éloges des grandes figures impériales telles que Charlemagne ou Napoléon ont été abandonnés au profit de personnages du Pays Basque. Il est notable que personne ne s’en offusqua ni du reste de la présence féminine, des musiques et jeux de scène nouveaux, des vêtements, toutes choses au fil des ans renouvelées, embellies, avec des textes de plus en plus courts, du chant élaboré et une expression théâtrale nouvelle. Cependant la structure de la Pastorale ne fut jamais mise en cause par les auteurs de plus en plus nombreux avec, parmi eux, un Junes Casenave gardien du purisme de l’oeuvre.

Ces dernières années, l’œuvre Oiherko, donnée à Ahüzki en 2006, secoua le milieu pastoralier. Pour d’autres on parla de “non respect de la structure”, on souligna aussi l’importance grandissante de l’argent, les frais ou bénéfices importants, la présence exagérée de milliers de spectateurs. On accusa aussi de “verser dans l’opérette” et l’abandon du “caractère sacré” des pastorales. Les villages entraient dans une “course à la nouveauté” en abandonnant les oeuvres classiques de référence. De plus, la perte de l’euskara faisait-elle entrer la Pastorale dans l’illusion et ne recherchait-on plus que “l’aptitude à se vendre” en privilégiant la beauté du spectacle? Les intellectuels de Soule n’ont-ils pas, au nom de l’effet économico-culturel de ces oeuvres accepté toutes les dérives? Ce sont des questions qui se posent mais qui soulignent néanmoins la vie de la Pastorale et son implantation dans la durée.

Auteur : Lucien Etxezaharreta

Pour aller plus loin, voir l'article ETCHEÇAHARRETA Lucien, ETCHECOPAR-ETCHART Hélène, La pastorale souletine mise au défi de se renouveler, Bulletin du Musée basque, 2006, no168, pp. 15-26.

Témoignages issus de la collecte orale ELEKETA

Vidéos extraites de Eleketa

Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1043. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.

Jean-Fabien Lechardoy évoque le côté lucratif de la pastorale, une représentation devenue une kermesse (repas, subventions, billet, livret...). L’aspect économique est trop important selon lui, et l'histoire de la pastorale passe à un second rang.

Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1043. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.

L'errejent évoque ici le nombre trop élevé d'acteurs dans les pastorales. Il souligne qu'une pastorale se fait avec des gens qui ont vraiment envie de jouer, avec les voix les plus belles, ceux qui parlent le mieux le basque. On fait normalement une pastorale avec 70 acteurs, mais 70 bons acteurs. Il prône une certaine exigence dans le choix des acteurs, malgré de rôle d'"ascenseur social" attendu de la participation à la pastorale.

Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1043. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.

Jean-Fabien Lechardoy dénonce l'obsession de l'esthétique dans la surenchère des costumes. Il explique que pour les quatre dernières pastorales qui traitaient de sujets se déroulant à la même époque, chaque village a créé ses propres costumes. Pourquoi tant de frais ?

Conseil général des Pyrénées-Atlantiques – Service départemental des Archives – cote : 19 AV 1043. Les témoignages complets de ces extraits sont consultables dans les salles de recherches des Archives départementales à Bayonne et à Pau.

L’errejent Jean-Fabien Lechardoy répond à la question « que changeriez-vous à la pastorale ? ». Il réduirait le nombre d'acteurs, réduirait la dimension financière de la pastorale pour redonner à l'histoire sa vraie place.

Plus de témoignages sur les pastorales

En 2014 s'est jouée à Bayonne la première pastorale urbaine, "Gerezien denbora".

Images de répétitions de la pastorale Gerezien denbora, 2014, 2013

Des images des répétitions de cette toute nouvelle forme de pastorale

En 2016, une table ronde est organisée à la médiathèque de Bayonne, intitulée "Katalina de Erauso et pastorale(s) contemporaine(s)"

Extraits audios d'une conférence, 2016

Katalina de Erauso est une pastorale créée et présentée à Bayonne le 5 juin 2016 (salle Lauga), puis à San Sebastian le 4 septembre (théâtre Victoria Eugenia). Maite Berrogain et Pantxika Urruty, respectivement auteure et metteure en scène, présentent cette création et évoquent sa spécificité dans la longue lignée des pastorales souletines. La table ronde animée par Lucien Etxezaharreta réunit des artistes telles Nicole Lougarot et Ihitz Iriart qui ont dirigé des pastorales d’un genre nouveau. Cette forme théâtrale ancestrale mérite que l'on s’interroge sur son évolution, entre tradition et création. En basque avec traduction simultanée. Cette rencontre a été organisée dans le cadre du programme Bilketa ; en partenariat avec l’Institut culturel basque et l’association Katalina Pastorala.

Retrouvez l'enregistrement de la table-ronde (en basque)

Affiche de la conférence du 14 avril 2016
Affiche de la conférence du 14 avril 2016
01 - Luzien Etxezaharreta introduit la table-ronde
02 - Maite Berrogain parle de la pastorale Katalina de Erauso
03 - Pantxika Urruty parle de la pastorale Katalina de Erauso
04 - Pantxika Urruty eta Maite Berrogain parlent de la pastorale Katalina de Erauso
05 - Ihitz Iriart parle de la pastorale Bibador
06 - Les chanteurs de la pastorale Katalina de Erauso chantent un extrait
07 - Nicole Lougarot parle d'Ederlezi pastorala
08 - Débat entre les participant sur le rôle d'Errejent
09 - Débat - Renouveller la pastorale ?
10 - Débat - Ihitz Iriart - Les défis actuels de la pastorale
11 - Débat avec le public
12 - Débat avec le public
13 - Débat avec le public

Jean-Louis Davant : "Un vrai changement dans la pastorale"

Texte écrit par Jean-Louis Davant pour Enbata, 2016

Jean-Louis Davant, auteur de pastorale a publié cet article, que nous reproduisons avec l'autorisation de l'auteur, le 18 octobre 2016, dans le magazine Enbata.

« Par l’extension de sa production loin de la Soule, la pastorale devient vraiment le théâtre national populaire des Basques »

Cet été, comme en celui de 2014, nous avons eu deux pastorales majeures : d’une part à Tardets (puis à Ochagavia) la pièce Jean Pitrau, de l’autre à Bayonne (puis à Donostia / Saint Sébastien et à Saint Jean Pied de Port) Katalina de Erauso. Elles ont apporté deux grandes nouveautés : des pastorales nées en dehors de la Soule, et ceci par la main de deux femmes.

Itxaro Borda fut la première à se manifester comme auteure de pastorale en 2014 à Bayonne avec la pièce Gerezien denbora (Le temps des cerises). Itxaro avait deux grands atouts : d’une part elle connaissait la Soule et le dialecte souletin, à peu de chose près comme les auteurs habituels de pastorales ; de l’autre elle n’est pas souletine : donc elle n’est pas accusée de trahison comme aurait pu l’être un Souletin, et de cette façon elle a ouvert la voie aux auteurs souletins pour offrir leurs textes hors de leur province.

La seconde auteure de pastorale, la souletine bayonnaise Maité Berrogain Ithurbide, s’est exprimée cette année, également à Bayonne, avec la tragédie Katalina de Erauso. Toutefois elle l’avait rédigée voici une dizaine d’années au moins, car j’en ai parlé dans mon livre Zuberoako literaturaren antologia laburra (Brêve anthologie de la littérature souletine), édité en 2008.

Bien que beaucoup de Souletins l’ignorent, autrefois aussi l’on produisait des pastorales en dehors de la Soule, dans le proche Béarn, en particulier dans la vallée de Barétous, ainsi que dans la proche Basse-Navarre, surtout en Pays de Mixe.

Mais voici qu’elle fait un grand bond jusqu’à la capitale du Labourd, et l’on doit penser qu’elle pourrait naître aussi en d’autres lieux distants. Devons-nous le craindre ? Je ne crois pas. A mon avis la pastorale de Soule gardera sa place, car à la pièce de théâtre elle joint quelque chose d’autre : la fête particulière d’un village ou d’un groupe, qui commence le matin, et pour certains au moins se termine le lendemain, soit en matinée, soit vers le soir.

En dehors de la Soule, la pastorale sera autre chose : un théâtre majeur des Basques, point. Il est vrai que depuis quelque temps elle était le spectacle principal, et presque l’événement majeur de l’été en Pays Basque nord. Mais du succès d’audience elle passe à la production élargie. De cette façon elle deviendrait, suivant le mot de Jean Vilar, « le théâtre national populaire des Basques », notre TNP.

D’autre part en dehors de l’été apparaît de temps en temps une pastorale plus menue, jouée par un petit groupe, donc plus mobile, comme voici quelques années Ederlezi de l’artiste bien connu Michel Etchécopar, jouée en divers lieux par quelques Souletins, et au printemps 2016 Joxemiel Bidador, baptisée à la pipérade navarraise, jouée par un groupe de Pampelune dans sa ville, puis à Gotein.

En Soule on évoque constamment les lois de la pastorale, mais sans jamais préciser quelles sont ces fameuses lois. Il semblerait que chacun a les siennes, très particulières et contraignantes. Ainsi nous filtrons les moustiques et nous avalons le chameau. Accrochons-nous aux branches maîtresses, en nous fiant aux rameaux nous tomberions. Pour moi la loi suprême est le caractère épique de la pastorale : celle-ci est par dessus tout une épopée. Deuxième loi : les trois portes et les deux couleurs, le rouge et le bleu, qui doivent paraître aussi dans les costumes. Elles valent également pour nommer les deux groupes opposés : les bleux et les rouges ; les appellations de « chrétiens » et de « turcs » correspondent à une époque historique révolue, elles sont aujourd’hui anachroniques ; parler de « bons » et de mauvais » me paraît trop moraliste ; donc pour moi le plus sûr et le plus neutre est de s’en tenir aux couleurs. Par exemple si un jour on joue ma pièce Abd el-Kader, les patriotes algériens devraient sortir par la porte bleue, et « nous » par l’autre, chaque groupe arborant sa couleur principale, sans être esclave d’une reconstitution historique des costumes comme le voudrait la mode actuelle.

Troisième grande loi, aujourd’hui oubliée de beaucoup ; le verset de la pastorale s’écrit en deux vers d’environ seize pieds chacun, bien que la plupart l’exposent sur quatre lignes, en coupant chaque vers en deux hémistiches [1]. Et la pastorale passe par là, définie par le texte de l’auteur qui la conditionne toute ; chaque été elle raconte une histoire particulière liée à la grande Histoire. « Quelles nouveautés dans la pastorale de cette année ? » Par les moyens du théâtre antique elle expose aux yeux et aux oreilles la vie d’un nouveau héros : voilà la principale nouveauté que la pastorale apporte chaque année.

Auteur : Jean-Louis Davant

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Les pastorales de femmes

  • [1] : Le verset de la pastorale est un faux quatrain et un vrai distique. Même quand on l’écrit sur quatre lignes, il ne faut que deux majuscules - l’une au début de la première ligne, l’autre au début de la troisième – et deux rimes - l’une au bout de la deuxième ligne, l’autre au bout de la quatrième ligne – ce qui montre bien qu’il y a deux vers et non pas quatre. Mais le mieux serait d'écrire sur deux lignes, ce serait plus clair pour tout le monde. Pourquoi insister sur la forme du verset ? Parce qu’elle a une grande influence pratique : le rythme du verset scande la voix et le pas de l’acteur. Si l’on rédige quatre courtes phrases au lieu de deux plus amples, l’acteur doit précipiter le pas et hacher le texte.